Jean Starobinski, Action et réaction. Vie et aventures d’un couple

Pourquoi dans la vie quotidienne, affirme-t-on qu’une situation intolérable appelle une réaction ? Comment les biologistes en sont-ils venus à penser les rapports du vivant et du milieu en termes d’interaction ? Pour quelle raison la psychiatrie a-t-elle adopté, il y a un siècle, la catégorie des affections réactionnelles ? Pourquoi le concept d’abréaction fut-il inventé puis abandonné par la première psychanalyse ? Que veut-on faire entendre, quand on déclare qu’une politique est réactionnaire ? Dire que le totalitarisme nazi fut une réaction au totalitarisme communiste, n’est-ce pas l’excuser ? Le mot « réaction » et ses dérivés offrent leurs services pour l’explication causale comme pour la compréhension par sympathie. Ils nous viennent à l’esprit quand nous cherchons des réponses à nos problèmes. Or ces mots, précisément, ne font-ils pas problème ?

C’est l’occasion pour, Jean Starobinski, d’examiner les filières intellectuelles à travers lesquelles le mot « réaction » et ses dérivés nous sont parvenus. Ce livre remonte au rôle que leur attribua la scolastique, mais aboutit aux interrogations qui entourent aujourd’hui la notion de progrès, sans laquelle la réaction politique ne peut être pensée. Il convoque aussi bien les philosophes (Aristote, Leibniz, Kant, Nietzsche, Jaspers), que les savants (Newton, Bichat, Claude, Bernard, Bernheim, Freud) et les écrivains (Diderot, Benjamin Constant, Balzac, Poe, Valéry).

L’ouvrage est une traversée originale de la culture occidentale : il éclaire successivement les fondements de la science et la protestation des poètes, parcourant ainsi les chemins qui conduisent à nos perplexités présentes.

octobre 1999, 464 pages EAN 9782020217958

John E. Jackson, « Starobinski, Action/Réaction : un couple de mot prolifique« , Le Temps, 9 octobre 1999 : « Le critique consacre une étude admirable à l’histoire de deux termes et aux métamorphoses de leur sens, du champ de la physique à celui de la chimie, de la médecine ou de la politique.
L’une des raisons qui font de Jean Starobinski un homme si universellement admiré est le sens avec lequel il sait déterminer la distance nécessaire par rapport à son objet. Qu’il choisisse une approche stylistique ou historienne, rhétorique ou sociologique, psychologique ou thématique, linguistique ou phénoménologique, toujours le critique genevois sait élire la «bonne» distance, celle qui lui permet à la fois d’être dans l’intimité de ce dont il parle et de garder le recul nécessaire pour mettre cette intimité en perspective. Cela, nous le savions depuis longtemps. Ce que l’on mesurait peut-être moins, c’est à quel point cette aptitude proprement littéraire, qui fait de cet homme le primus inter pares des études de lettres, allait de pair avec une conscience et un savoir scientifiques qui en sont comme la doublure. Action et réaction, l’ouvrage que Starobinski fait paraître ces jours-ci, permet au contraire à cette doublure de prendre pour une fois le devant de la scène: c’est le scientifique en lui qui s’est fait ici historien.
Sous-titrée «Vie et aventure d’un couple» – comme pour illustrer la remarque du Louis Lambert de Balzac: «Quel beau livre ne composerait-on pas en racontant la vie et les aventures d’un mot?» –, cette étude est consacrée à l’histoire du couple formé par deux termes dont l’intérêt tient à la fois dans les métamorphoses de leur sens et dans leur capacité à être employés de manière figurée. L’histoire d’un mot se révèle donc ici l’histoire d’une notion scientifique, de son champ d’application ainsi que des transferts sémantiques qu’elle subit au cours des siècles, lesquels ne se comprennent qu’à partir de l’évolution des sciences.
(…) Jean Starobinski est à l’âge des synthèses. A la place de celle-ci, c’est à une sorte de roman intellectuel qu’il a consacré ce livre. Ce roman, il a mis des années à l’écrire, non parce qu’il aurait manqué de matière. Au contraire: on discerne d’ailleurs encore ici et là comme des repentirs, des pistes indiquées, puis abandonnées et néanmoins marquées par souci de ne rien oublier. Le savoir de cet homme est d’une ampleur sans pareille, son intelligence est sans défaut. Il ne reste pour lui répondre que l’admiration. »