Les laboratoires de l’horreur et de la mort industrielle que furent les camps nazis ont paradoxalement aussi été des lieux de création. Création dans des conditions extrêmes, presque toujours clandestine et souvent le fait de simples amateurs pour qui elle constituait une ultime planche de liberté – ou de résistance. Ce fut le cas dans le camp pour femmes de Ravensbrück avec Le Verfügbar aux Enfers, pièce écrite fin 1944 par l’ethnologue Germaine Tillion (1907-2008) avec l’aide de ses compagnes résistantes déportées. Œuvre de survie collective, cette « opérette-revue » sans partition qui détourne avec humour un répertoire varié d’airs populaires éclaire de manière exemplaire les relations complexes entre mémoire musicale, création et résistance dans les camps.
Germaine Tillion est entrée au Panthéon le 27 mai 2015. Ce jour-là, le président de la République dit : « À Ravensbrück, cachée dans des caissons en carton, Germaine Tillion écrit une opérette, pour que le rire généreux de ses camarades déportées puisse répondre aux rictus lâches de leurs bourreaux. Oui, une opérette, pour pouvoir défier le mal par le rire. »
Dans sa préface, Esteban Buch écrit qu’« il revenait à une femme, Germaine Tillion, de contribuer au travail de mémoire collectif en faisant entendre aussi la musique du rire, éternellement libre, surgissant du fond sonore des enfers ».
Pour accompagner ce numéro, une base de donnée multimédia a été créée, recensant, pour chaque air du Verfügbar aux Enfers, l’ensemble des sources originales disponibles : paroles, enregistrements, partitions, adaptations filmiques, documents d’époque etc. et permettant de faire des recherches croisées par catégories. Cliquez ici pour la consulter.
Éditions du Seuil, parution le 7 juin 2018, 272 pages — EAN 9782021395716
La version numérique de ce numéro du Genre humain est consultable sur cairn.info
Le Genre humain n° 59
Chanter, rire et résister à Ravensbrück.
Autour de Germaine Tillion et du Verfügbar aux enfers
Sous la direction de Philippe Despoix, Marie-Hélène Benoit-Otis, Djemaa Maazouzi et Cécile Quesney
SOMMAIRE :
- Esteban Buch, préface (p. 13 à 15)
- Philippe Despoix, Marie-Hélène Benoit-Otis, Djemaa Maazouzi, Cécile Quesney, Chanter, rire et résister à Ravensbrück, Autour de Germaine Tillion et du Verfügbar aux Enfers (p. 16 à 21)
Contextes d’une création atypique
- Insa Eschebach, Créer son propre lieu social. Les activités culturelles dans le camp de concentration pour femmes de Ravensbrück, traduit de l’allemand par Marie-Michèle Blondin, Révisé par Marie-Hélène Benoit-Otis (p. 23 à 36)
- Julien Blanc, Humour et Résistance chez Germaine Tillion : rire de (presque) tout (p. 37 à 53)
- Françoise Carasso, Styles de Germaine Tillion : pertinence et impertinence (p. 55 à 69)
- « Il était une fois Ravensbrück », Entretien avec Mechthild Gilzmer, Germaine Tillion (p. 71 à 91)
Une opérette-revue à Ravensbrück
- Nelly Forget, Témoignage sur l’improbable parcours d’un manuscrit. Le Verfügbar aux Enfers (p. 93 à 106)
- Donald Reid, Re-mémoration et créativité dans Le Verfügbar aux Enfers, traduit de l’anglais par Jenny Brasebin (p. 107 à 117)
- Philippe Despoix, Orphée à Ravensbrück ? Une revue de composition orale : mémoire phonographique et parodie (p. 119 à 136)
- Djemaa Maazouzi, D’une « distraction » paradoxale à Ravensbrück (p. 137 à 155)
- Cécile Quesney, Mettre en scène Le Verfügbar aux Enfers (2007-2017) (p. 157 à 173)
- Marie-Hélène Benoit-Otis, Virtualités musicales dans l’opérette-revue de Germaine Tillion (p. 175 à 187)
Annexe (p. 189 à 241)
Sources musicales et phonographiques du Verfügbar aux Enfers
Groupe de recherche « Mémoire musicale et résistance dans les camps », Ariane Santerre