Une œuvre d’art est, presque toujours, l’œuvre d’un artiste, même s’il s’agit d’un« ready made », et celui qui la perçoit le fait aussi en tant que sujet. Ce qui rend toute œuvre d’art inépuisable. C’est même peut-être à cela qu’on la reconnaît. On ne voit, lit, entend jamais deux fois la même œuvre.
La question est différente pour les scientifiques qui, depuis Galilée et le « grand livre de la nature écrit en langage mathématique », déchiffrent ledit livre sans que le sujet n’intervienne autrement que par son habileté de déchiffreur. La vérité est dévoilée et existe indépendamment du sujet qui la dévoile puisque c’est la nature qui se dévoile. L’allégorie a traversé le XIXe siècle et reste bien vivante. Même si, on le constate très souvent, le voile montre parfois plus que le dévoilement. Alain Prochiantz
Qu’est-ce qu’une forme et pourquoi s’y intéresser aujourd’hui ? Si l’on se réfère au sens commun, une forme est un ensemble de traits caractéristiques – visuels, sonores, tactiles – qui permettent à une réalité physique d’être conçue, puis perçue. S’adressant à nos sens ou se constituant dans notre imagination, parfois à notre insu comme lors des rêves, les formes semblent être des entités premières, auxquelles ont à faire tous les champs du savoir et de la création.
Les formes se meuvent, se déforment, s’érodent, se régénèrent. Nombreux et difficilement définissables sont les passages de la forme au difforme, du difforme à l’informe. Existe-t-il des formes qu’on ne peut nommer ? Et, à l’inverse, la langue est-elle capable d’émettre des énoncés qui n’évoquent aucune forme ? À quoi nous font rêver les formes ? À quelles formes rêvons-nous ? En interrogeant ainsi le rêve que peuvent susciter les formes, peut-être serions-nous tentés d’anticiper le moment où celles-ci, libérées de leur référent, devenues des signes dépourvus de sens, se mettraient elles-mêmes à rêver. On pourrait se demander alors : « À quoi rêvent les formes ? Quel est le rêve des formes ? » Alain Fleischer
Ce numéro, publié par les Éditions du Seuil, est disponible en librairies. Publication le 4 avril 2019, 252 p., EAN 9782021420166
Sa version numérique peut être téléchargée sur Cairn.info.
SOMMAIRE :
- Alain Prochiantz, Présentation (p. 7 à 8)
- Alain Fleischer, Ouverture (p. 9 à 11)
- Ada Ackerman, Le Golem : une forme qui se dérobe (p. 13 à 19)
- Arnaud Petit, Humanité sonore (p. 21 à 28)
- Catherine Perret, Les cartes d’erres de Fernand Deligny (p. 29 à 36)
- Stéphane Habib, Le réel déforme (p. 37 à 46)
- Jonathan Touboul, Jérôme Ribot, Forme des représentations du monde dans le cerveau (p. 47 à 56)
- Laurence Bertrand-Dorléac, Artistes et robots. Acte 2 (p. 57 à 64)
- Maurice Olender, Priape. Le dieu amorphe (p. 65 à 73) – Vidéo de la conférence ici
- Philippe Manoury, Formes musicales ? (p. 75 à 79)
- Jean-Paul Delahaye, Les formes improbables du Jeu de la vie (p. 81 à 94)
- Daniel Dobbels, L’indifférence des rêves (p. 95 à 105)
- Annick Lesne, Julien Mozziconacci, Formes mathématiques, formes physiques, formes vivantes (p. 107 à 112)
- Olivier Perriquet, Ce qui résiste à l’œil (p. 113 à 120)
- Patrick Jouin, Formes contraintes (p. 121 à 128)
- Alain Fleischer, L’apparition du monstre (p. 129 à 137)
- Frank Madlener, L’intrigue d’une forme : d’où, chose remarquable, rien ne s’ensuit (p. 139 à 144)
- David Chavalarias, Formes collectives (p. 145 à 152)
- Jean-François Peyret, « Et compagnie… » (p. 153 à 161)
- Jean Nouvel, Le Louvre Abu Dhabi (p. 163 à 197)
- Georges Didi-Huberman, Le cauchemar des formes (retour sur l’informe et la dialectique) (p. 199 à 209)
- Jean-Claude Conésa, Synthèse et conclusion (p. 211 à 216)
L’exposition « LE RÊVE DES FORMES Art, science, etc. » s’est tenue à Paris, au Palais de Tokyo, du 14 juin au 10 septembre 2017.
L’exposition Le Rêve des formes, présentée à l’occasion du vingtième anniversaire du Fresnoy – Studio national des arts contemporains, est conçue comme un paysage imaginaire, un jardin monstrueux où se cultivent des formes périssables et des surfaces en germination, des organismes protubérants et de plates silhouettes.
Les artistes et chercheurs rassemblés dans Le Rêve des formes témoignent de leur rencontre avec de nouvelles possibilités de représentation, issues de découvertes scientifiques et techniques récentes, qui bouleversent notre façon de voir et de montrer. En renouvelant grâce à cela le champ du perceptible – nanotechnologies, imagerie de synthèse, scan 3D, stéréolithographie… –, ces nouvelles visualisations nous laissent présumer de géométries encore inconnues.
Avec : Francis Alÿs, Hicham Berrada & Sylvain Courrech du Pont & Simon de Dreuille, Michel Blazy, Juliette Bonneviot, Dora Budor, Damien Cadio, Julian Charrière, Sylvie Chartrand, Clément Cogitore, Hugo Deverchère, Bertrand Dezoteux, Mimosa Echard, Alain Fleischer, Fabien Giraud & Raphaël Siboni, Bruno Gironcoli, Spiros Hadjidjanos, Patrick Jouin, Ryoichi Kurokawa, Annick Lesne & Julien Mozziconacci, Adrien Missika, Jean-Luc Moulène, Marie-Jeanne Musiol, Katja Novitskova, Jonathan Pêpe & Thibaut Rostagnat & David Chavalarias, Olivier Perriquet & Jean-Paul Delahaye, Arnaud Petit, Jean-François Peyret & Alain Prochiantz, Gaëtan Robillard, Gwendal Sartre, SMITH & Antonin-Tri Hoang, Anicka Yi
Commissaires : Alain Fleischer, directeur du Fresnoy – Studio national des arts contemporains et Claire Moulène, commissaire au Palais de Tokyo
En amont de la tenue de l’exposition Le Rêve des formes au Palais de Tokyo, un groupe de recherche a réuni au Fresnoy des artistes (Hicham Berrada, Julien Clauss, Daniel Dobbels, Emmanuel Guez, Arnaud Petit, Olivier Perriquet, Jonathan Pêpe, Jean-François Peyret, Dorothée Smith) et des scientifiques issus de différents champs (Ada Ackerman, David Chavalarias, Joseph Cohen, Jean-Paul Delahaye, Annick Lesne, Alain Prochiantz, Jean-Philippe Uzan, Raphael Zagury-Orly), afin d’explorer collectivement la question de « l’incertitude des formes ». Leurs échanges nourrissent l’exposition et préfigurent le colloque qui sera organisé les 5, 6 et 7 septembre 2017 au Collège de France, à l’invitation de son administrateur général, le neurobiologiste Alain Prochiantz. Les débats de ce colloque seront retransmis en direct au Palais de Tokyo le 6 septembre 2017. Le numéro 25 du magazine PALAIS est entièrement consacré à l’exposition « Le Rêve des formes ». Un extrait du magazine peut être feuilleté ici.
